La petite fille et la plume d’oie
Petite réflexion sur l’apprentissage de l’écriture
Mélaine a reçu, pour son anniversaire, un élégant coffret contenant une plume à l’ancienne et un joli flacon d’encre bleu myosotis. La petite fille de dix ans est ravie. La plume glisse sur le papier glacé avec une fluidité ravissante, presque charnelle.
Mélaine a attendu avec impatience ce présent, car c’est elle qui avait formulé le souhait de posséder un tel objet.
D’aucuns diront : mais à quoi peuvent bien servir cette plume obsolète, cet encrier peu pratique, ce papier buvard et tous ces exercices scripturaux, alors qu’il existe des stylos si pratiques dont l’encre se trouve contenue dans une cartouche. De plus, il est possible d’effacer la moindre faute avec une pointe prévue à cet effet. Mais l’on a fait mieux encore : ces stylos billes jetables avec lesquels l’on se simplifie la vie.
Et puis, à quoi bon, de nos jours, perdre son temps à aligner des lettres pour parfaire notre écriture quand il existe de nombreux outils de mise en page qui proposent une variété incroyable d’écriture et soulignent vos fautes de syntaxe et d’accord pour rendre un document impeccable qu’il ne vous reste plus qu’à imprimer ou à envoyer par courriel (encore faut-il savoir le mettre en page et bien présenter son texte).
Car il faut vivre avec mon temps et l’époque des plumes d’oie est dépassée. L’acte si poétique avec lequel nous trempions nos plumes dans l’encre veloutée est franchement tombé en désuétude.
Cependant, tout comme Mélaine, j’aime beaucoup ma langue maternelle, j’apprécie les belles écritures, le travail soigné, l’âme d’un texte à travers le fond, mais aussi la forme. Moi qui travaille, la plupart du temps, sur un logiciel de traitement de texte, je sais que rien ne vaut le fait d’écrire avec un stylo pour unir la pensée à la forme. Et, pourquoi pas, un stylo plume, offert dans un bel écrin, avec lequel je puise, de temps à autre, mon inspiration.
Mélaine s’applique maintenant à faire ses exercices de français avec sa belle plume et avec enthousiasme. Ce petit objet lui donne un élan qui lui manquait parfois pour travailler. Et elle se rend compte combien il est plus difficile de travailler ainsi, mais combien cela est plus gratifiant. Un travail soigné, plus long, plus posé qui permet au cerveau de façonner des pensées, de réfléchir calmement. Finalement, une attention particulière qui se transforme en une sorte de jeux studieux.
Et cet agréable labeur d’écriture, allié à de bonnes méthodes, à de bons cours de syntaxe, de grammaire et de conjugaison, à des exercices substantiels représente un bénéfice appréciable en lui évitant quelques lourds handicaps en français.
S’il existe de réels problèmes de dyslexie, je suis persuadée que la plupart des élèves taxés de « dys » (et ils sont de plus en plus nombreux) n’ont pas eu la chance de recevoir un enseignement adéquat. Et, pour remédier à cela, l’Éducation nationale offre à ces pauvres enfants non pas une plume d’oie, pas même un beau stylo bille et un joli cahier, mais un ordinateur ! Puisqu’ils ne savent pas se servir de leur main pour formuler des phrases, ils sont contraints de disposer d’un écran et d’un clavier pour tenter d’écrire quelques mots. Le comble est de constater que les élèves concernés, ainsi que leurs parents, sont persuadés être porteur d’un handicap.
Je connais en effet des (pauvres) enfants victimes d’un tel mécanisme. Puisque ces derniers ne savent pas écrire, ou, du moins, ont énormément de mal à former des mots et à mettre par écrit leurs pensées, l’on a décidé, dans le milieu scolaire, de leur fournir un ordinateur avec lequel ils écrivent désormais. L’ordinateur, à la place d’un bon soutien, d’une remise à niveau de qualité !
Tel enfant de CM m’a dit un jour : « Mais moi, je suis dysorthographique, j’ai un ordinateur pour pouvoir écrire », avec l’air désabusé de quelqu’un qui vous annonce qu’il a une maladie incurable. Lorsque je lui expliquais qu’il s’agissait probablement d’un problème de méthode, il restait dubitatif.
Il n’y a pas si longtemps, j’ai donné des cours particuliers à une petite fille de CP qui ne s’en sortait pas et dont les parents, dépités, avaient entendu dire de la part de l’institutrice qu’il fallait prendre rendez-vous chez un orthophoniste. Après plusieurs semaines de travail adapté, tout le monde s’est rendu compte qu’avec une bonne méthode, classique, ayant fait ses preuves, en l’occurrence la méthode syllabique, toute bête, tout est rentré dans l’ordre en quelques petits mois. Je n’ai eu aucun mérite sauf celui d’appliquer une méthode rigoureuse avec une certaine exigence.
Mélaine, de son côté, a la chance de pouvoir rêver à sa plume d’oie et à pouvoir s’en servir à souhait. Quant à l’ordinateur, elle a bien le temps de s’y mettre. Lorsque son esprit saura discerner avec suffisamment de bon sens, quand elle aura acquis assez de bases solides dans sa langue maternelle et sur le plan culturel, elle sera peut-être prête. Elle n’est pas en symbiose avec son temps ? Elle n’en souffre pas le moins du monde. Elle vit sa vie de petite fille qui bientôt passera le cap de l’adolescence avec une certaine sérénité.
Je suis restée trente ans de ma vie sans écrans, sans téléphones portables, et ce n’est pas pour cela que je ne sais pas m’en servir. Mélaine n’attendra sûrement pas autant d’années, car les occasions ne manqueront pas, mais elle n’aura aucune peine à rattraper le temps perdu.
Mais que vont faire ces enfants à qui l’on a mis un ordinateur entre les mains pour pallier leurs carences et qui ne savent plus ni lire ni écrire ?
Isabelle Gimbault