Ève secoue les vêtements qu’elle vient de soustraire à son maigre bagage. Le sable du désert, qui s’était mêlé aux tissus, est soudain projeté ça et là et se dépose enfin sur le sol formant des traces dorées et glissantes. Elle regarde avec attention ces lambeaux de poussière scintillante tandis que des souvenirs colorés s’éveillent et viennent danser dans son esprit.
La torpeur du jour, le soleil écrasant, dont la lumière est trop vive, le désert qui ne finit jamais, le ciel prédominant sur l’horizon, les nuits trop froides sous les joyaux étincelantes de l’Empyrée, les odeurs prononcées, tantôt âcres, tantôt doucereuses, les relents de poussière, de sueurs et d’animaux qui ne gênaient plus Ève au bout de quelques jours et d’un temps d’adaptation… La jeune femme se souvient des longues marches aux côtés d’Amestan, le targui, « le protecteur »… Elle sent encore son regard, étrangement clair, se poser sur elle avec douceur et vivacité et elle perçoit son sourire, son visage buriné et gracieux, ce visage viril d’homme du désert.
Il guidait ce groupe avec lequel elle était restée, à travers le Sahara, afin de leur offrir des souvenirs inoubliables et des images saisissantes. Car Ève ne faisait rien d’autre que son travail de reporter.
Amestan a conduit, durant quelques semaines, une dizaine d’Occidentaux en mal d’exotisme vers des rivages inconnus et des contrées illusoires. Il s’était permis, en compagnie de quelques touareg qui le suivaient, de rester avec leur guide. Ève n’a jamais su pourquoi il avait fait ce choix, au fin fond de cet univers à la fois silencieux et vibrant. Elle écoutait sa voix qui se perdait dans l’air saharien. Il évoquait des mondes. Lorsqu’il s’adressait à leur guide, il utilisait le tamachek. Les deux hommes paraissaient se comprendre à la perfection. Mais Amestan connaissait aussi la langue française. Où l’avait-il apprise ?
Ève aima d’emblée les paroles et la poésie de ce peuple qu’Amestan représentait si bien, à travers sa voix, ses gestes, sa modestie et sa pudeur. Elle aima sans retour tout ce qu’il pouvait offrir de vrai, de rude et de délicat. Elle sut discerner l’hospitalité de ces touareg.
Elle se plut, entre autres, à savourer le thé à la menthe, pourtant trop sucré, assise sous une tente, sous l’azur implacable ou sous les étoiles endimanchées. Et elle fut très émue lorsqu’Amestan, « le protecteur », lui offrit ce pendentif en argent et en onyx, le jour où ils se sont dit adieu, et qui vient brusquement de toucher le carrelage. Le bruit du bijou, qui s’était glissé parmi des vêtements froissés d’où s’élèvent les parfums brutaux du Sahara fabuleux, a réveillé la jeune femme.
Elle a balayé le sable tombé sur le sol. Elle caresse un instant le bijou du désert, qu’elle vient d’arranger autour de son cou. Elle scrute sa chambre et pose un regard sévère sur son ordinateur, qui ne lui a pas manqué durant son voyage. Elle l’avait presque oublié. Comme celui-ci lui semble bien dérisoire ! Il avait pourtant une place importante dans sa vie, avant son départ pour l’Afrique. Maintenant, elle le boude…
Cependant, après maintes réflexions, elle retourne vers cet objet moderne : il lui sera d’une grande utilité pour évoquer son expédition dans le désert, travailler ses photographies. Ses écrits lui feront revivre des instants désormais évanouis dans un passé encore proche.
Et les mots lui permettront de saisir longtemps ces réminiscences et, en même temps, de les arracher d’elle-même. Grâce à l’écriture, elle pourra se libérer de ses sentiments. Amestan, le désert, les sensations fortes ne seront plus que chimères.