Lorenzo, le petit charbonnier

Il n’y a pas si longtemps, vivaient dans les forêts de France des hommes qui fabriquaient et vendaient du charbon de bois. On les appelait les charbonniers. Leur vie était difficile, car ils habitaient dans de misérables cabanes qu’ils construisaient eux-mêmes. Les gens des villages alentour ne les aimaient pas beaucoup parce qu’ils étaient pauvres et parce qu’ils ne vivaient pas comme les autres. Pourtant, c’était en parti grâce aux charbonniers qu’ils pouvaient cuire leur nourriture et se chauffer en hiver. Car, à cette époque, beaucoup de maisons ne possédaient ni électricité ni gaz, et l’on utilisait, à la place, du charbon constitué de morceaux de bois tout noirs et qui tâchaient.

 Le père de Lorenzo était charbonnier. Il avait quitté l’Italie, son pays natal, parce qu’il n’y trouvait plus de travail. Il s’était installé, avec sa femme et ses deux enfants, aux abords d’une majestueuse forêt, dans la région de Provence. Il était heureux de pouvoir expliquer à son fils comment il travaillait :

— Tu vois, Lorenzo, pour faire du charbon, il faut construire d’abord une charbonnière.

— Oui papa, la charbonnière, c’est l’énorme tas de bois que tu disposes minutieusement chaque jour, jusqu’à ce qu’il soit deux fois plus haut que toi.

— Oui, Lorenzo. Et je n’oublie pas de faire une cheminée, au centre de toutes ces bûches entassées, dans laquelle je mettrai le feu. Alors, tout le bois que j’ai placé autour se transformera en charbon que nous vendrons ensuite. Mais, avant d’allumer la cheminée, il faut recouvrir la charbonnière avec une bonne couche de terre et de feuilles. C’est un peu comme si l’on cuisait les bouts de bois qui deviendront ensuite tout noirs.

Lorenzo, qui était curieux, aimait poser des questions :

—  Cela doit être fatigant, parce que chaque soir tu as l’air si harassé.

— Oui, mon garçon, c’est un travail pénible. Si on le fait mal, tout le bois va brûler et il ne restera que des cendres et non pas du charbon.

Quand il n’aidait pas son père et qu’il n’allait pas à école, Lorenzo partait se promener à travers la campagne tantôt inondée de soleil, tantôt écrasée par de gros nuages menaçants. Il aimait écouter le vent murmurer entre les feuillages et observer les insectes colorés qui se posaient sur de multiples brindilles. Tandis que les oiseaux pépiaient gaiement, il se penchait çà et là afin de cueillir les plus belles fleurs pour les offrir à sa maman. Mais Lorenzo était un petit garçon téméraire. Il aimait par-dessous tout s’aventurer dans la sombre forêt. Il s’enfonçait dans les sous-bois et s’en revenait bien tard, souvent à la nuit tombée. Son père lui demandait alors :

— Lorenzo, d’où viens-tu donc ?

— Je suis allé me promener et je n’ai pas vu le temps passer.

— Tu as encore désobéi ! Je t’ai déjà dit de ne pas aller si loin tout seul. Nous sommes inquiets, ta mère et moi, lorsque tu tardes. Si tu continues, je serai obligé de te punir.

Chaque fois, Lorenzo promettait de ne plus recommencer, mais c’était plus fort que lui. La forêt l’attirait irrésistiblement et il y retournait à la moindre occasion.

Les parents de Lorenzo ne savaient pas lire ni écrire, mais ils tenaient à ce que leurs enfants s’instruisent et apprennent beaucoup de belles choses. Quand Lorenzo et sa sœur Ciara arrivèrent dans l’école du village, le plus grand des élèves, qui s’appelait Émile, se moqua d’eux :

— Hou ! Les charbonniers, vous vivez comme des sauvages. Votre maison est un antre tout sale.

Émile leur disait aussi :

— Vous êtes des ânes, vous ne savez même pas parler comme tout le monde.

Il leur faisait des grimaces de dégoût et leur faisait des reproches :

— Vous avez les mains noires et les vêtements pleins de taches !

Émile et ses camarades leur lançaient toujours des propos blessants. Le maître d’école punissait parfois ces élèves moqueurs, mais cela ne les empêchait pas de continuer pendant la récréation ou, le soir, après la classe. Lorenzo savait que toutes ces paroles étaient injustes. Car ses parents, même s’ils étaient pauvres, même s’ils vivaient dans une toute petite cabane, étaient très dignes et ils voulaient que leurs enfants le soient aussi. Et si, lors de la fabrication du charbon, ils se salissaient beaucoup, le reste du temps, Corradina, la maman de Lorenzo et de Chiara, tenait à ce que ses enfants restent propres. Elle passait d’ailleurs de longs moments près de la rivière à laver son linge.

 Un jour, après l’école, Émile provoqua Lorenzo afin de se battre avec lui. Mais le petit charbonnier préféra s’enfuir dans la forêt. Alors Émile raconta à tout le monde :

— Lorenzo est un peureux, Lorenzo est une poule mouillée !

Lorenzo était triste à cause de ces méchantes paroles, car il savait bien, lui, qu’il n’était pas peureux. Mais il n’aimait pas se battre, voilà tout.

Toutefois, lorsqu’Émile vit un jour le père de Lorenzo poser un regard sévère sur lui, il n’osa plus railler son camarade. En effet, l’homme était très robuste, très grand, et portait une barbe impressionnante qui le rendait encore plus intimidant.

 Par un beau soir de printemps, l’intrépide Lorenzo, qui avait, une fois de plus, oublié les recommandations de ses parents, s’en revenait d’une escapade dans la forêt. Il entendit soudain un appel :

— Au secours, au secours, à l’aide !

Lorenzo reconnut la voix d’Émile. Il courut aussitôt en direction de cette plainte. Il arriva dans un endroit rempli de cavités profondes, mais il continua quand même et s’arrêta tout près de la voix qui criait toujours :

— Au secours, au secours, à l’aide !

Lorenzo constata que le pauvre Émile était tombé au fond d’un trou. Il lui dit :

— Émile, essaie de t’accrocher à la roche, je vais chercher une corde pour te sortir de là.

— Non, répliqua Émile, je ne peux pas. Je crois que je me suis cassé une jambe. J’ai très mal, je n’arrive pas à me relever.

Alors Lorenzo s’en alla bien vite rejoindre la cabane où il vivait, car elle se trouvait tout près de l’endroit où était tombé Émile. Ses parents étaient partis à la ville vendre du charbon avec Chiara et ils n’allaient pas tarder à rentrer. Mais Lorenzo n’attendit pas leur retour. Il prit une belle corde, une couverture, plaça le tout dans un grand sac et s’en repartit au plus vite. Comme le sac était lourd ! Lorenzo avait du mal à courir, mais il faisait de son mieux, car la nuit allait tomber et il fallait faire vite. Il arriva enfin auprès d’Émile et lui cria :

— Ne t’inquiète pas, je vais t’aider.

Lorenzo descendit dans la cavité, attacha la corde autour de la taille d’Émile et entoura aussi ses épaules, comme pour faire un harnais, puis il remonta péniblement en gardant un bout de corde dans ses mains. Il avait du mal à s’agripper à la roche humide. Mais il réussit à s’en sortir. Il aida ensuite Émile en tirant sur l’attache. Jamais il n’aurait imaginé avoir tant de force. Au bout d’un moment, Émile se retrouva enfin hors du trou. Il était allongé sur le sol, tout griffé, tout tâché de boue et il gémissait :

— J’ai mal, j’ai mal.

Alors Lorenzo l’enveloppa avec la couverture et lui dit :

— Je vais au village chercher de l’aide.

Émile lui répondit :

— Fait vite, s’il te plait, il commence à faire nuit. J’ai peur de rester tout seul.

Il vit Lorenzo disparaître au détour d’un bosquet. Soudain, une silhouette grisâtre émergea de l’ombre et s’approcha de lui.

— Bonsoir Émile. Que t’arrive-t-il ?

Émile était très inquiet. Il marmonna :

— Comment connaissez-vous mon prénom ?

— Oh, il y a longtemps que je vis au pays et, même si peu de gens savent qui je suis, moi, je connais la vie de tout le monde.

Il se pencha vers le pauvre garçon qui gémissait toujours. Alors Émile put voir le visage de cet être inquiétant. C’était un homme plutôt âgé, à la figure marquée de rides et au regard sombre, qui demanda :

— Tu attends quelqu’un, Émile ?

— Oui, mon ami Lorenzo qui va bientôt arriver avec les secours.

— Oh ! mon pauvre garçon, tu crois vraiment que Lorenzo va revenir ?

— Oui, il me l’a promis.

          — Et bien, détrompe-toi. Il ne reviendra pas ce soir. C’est d’ailleurs pour cela qu’il t’a laissé la couverture, pour que tu puisses passer la nuit ici sans trop avoir froid. Car tu sais bien que, dans la région, les nuits sont très fraîches, même au printemps.

          Émile protesta :

          — Et comment savez-vous tout cela ?

          — Je t’ai déjà dit que je connais beaucoup de choses. Et tu crois vraiment que Lorenzo a eu la force d’aller au village, tout seul, à travers les ténèbres qui s’intensifient de minute en minute ?

L’homme réussit à faire douter le pauvre Émile qui commença à se décourager. Et plus il désespérait, plus il sentait son corps s’assoupir et le froid le saisir, malgré la couverture de Lorenzo. Il était sur le point de s’endormir, et il craignait de ne plus se réveiller parce que ses membres s’engourdissaient peu à peu.

Alors qu’Émile écoutait encore les phrases décourageantes que l’homme lugubre lui glissait à l’oreille, il entendit, dans un demi-sommeil, des bruits de pas et des éclats de voix. Il fut soulagé quand il comprit que Lorenzo avait tenu parole. Il s’en revenait du village, où il était allé frapper à la porte du médecin avant de courir jusqu’à la ville voisine pour alerter les secours. L’homme étrange avait disparu et Émile se demanda s’il n’avait pas rêvé. Malgré son découragement, il avait gardé, tout au fond de son cœur, un soupçon d’espoir. Cela lui avait permis de lutter contre le sommeil et contre l’inquiétude que l’homme perfide avait fait naître dans son esprit.

Les pompiers emmenèrent Émile à l’hôpital. On le soigna et on lui mit un gros plâtre autour de sa jambe. Deux jours plus tard, Lorenzo se rendit, avec ses parents et sa sœur, auprès d’Émile qui lui dit :

— Je te remercie de m’avoir sauvé. Je te demande pardon d’avoir été méchant avec toi. Tu es le garçon le plus courageux que j’ai jamais connu.

Lorenzo répondit :

— Je te pardonne, Émile. Veux-tu être mon ami ?

Pour la première fois, depuis bien longtemps, Émile sentit son cœur transporté de joie et il dit :

— Oui, je veux bien.

À partir de ce jour, Émile et tous les enfants de l’école apprirent à jouer avec Lorenzo et Clara. Le père de Lorenzo leur expliqua aussi comment on fabriquait le charbon de bois. Et ils trouvèrent cela très intéressant.

Émile se promit de ne plus jamais juger les personnes sur les apparences ou sur leur statut social.

 

 

  Isabelle Gimbault  2022 ©  – toute reproduction interdite sans l’accord de l’auteur